“Putain, mais quel con tu es !" :Yoann Offredo vous raconte son 1er Tour de France

“Putain, mais quel con tu es !" :Yoann Offredo vous raconte son 1er Tour de France

De longues années durant, Yoann Offredo a su résister aux sirènes du Tour de France. Là où la compétition phare du cyclisme représentait le graal pour tant de coureurs, il préférait le souffle glacial des débuts de printemps et ses pavés acérés, à la chaleur étouffante des mois de juillet. La harangue du public belge ou du nord de la France lui semblait plus douce que les clameurs des cols alpestres ou pyrénéens. Mais cette année, la carrière du francilien a pris un virage radical. Une nouvelle équipe Wanty Groupe Gobert, après 10 ans de bon et loyaux services passés chez Marc Madiot, un nouveau rôle et le cap de la trentaine, cette fameuse trentaine si propice aux remises en question en tous genres. Puis une wild card pour le Tour de France accordée à la structure Belge, et voilà que bascule la saison du coureur français : En cette année 2017, juillet passera par le Tour de France.

 

«On n'est pas tous des Peter Sagan»

 

C’est ainsi qu’après avoir battu le pavé et achevé cette campagne de classiques qui l’a vu terminer entre autres à la 14e place de l’Enfer du nord et du Ronde, c’est un changement de programme radical qui s’est annoncé, eu égard aux coutumes respectées jusqu’alors : « J’ai fait une bonne grosse coupure après les classiques, contrairement à mon habitude, pour faire du jus en vue du Tour de France. Puis j’ai aussi fait quelques stages en montagne...Ils n’ont pas été forcément super bénéfiques d’ailleurs (rire) ».

Une préparation inédite pour le coureur à la mèche blonde si caractéristique. Car au-delà même de l’immensité d’un Tour de France, Offredo n’a jamais posé ses roues jusqu’à une dernière étape d’un Giro ou d’une Vuelta. A la rigueur il a bien participé en 2010 au Tour d’Espagne, mais ce n’était guère qu’une course de préparation qu’il abandonna au sortir de la 10ème étape : » je l'avais arrêtée parce que je préparais les championnats du monde et c'était prévu ainsi dès le départ. C'est très différent de savoir que tu viens sur un grand Tour pour faire quelques étapes ou bien la totalité d’entre elles ». Ce Tour de France c’était donc un saut dans un vide abyssal, parsemé de multiples sources d’appréhension : « Je n'angoissais pas plus que ça à l’idée de la longueur ou la durée de la course. Par contre je craignais vraiment tout ce qui peut y avoir autour, comme de tomber malade, d'avoir un jour de moins bien...peur de manquer de maturité non pas au niveau physique mais du point de vue de l'expérience ».

C’est après le championnat de France, à peine 3 jours plus tard, que le coureur du Team Wanty Group Gobert va entamer son périple estival. Il débarque le mercredi à Düsseldorf et y patiente jusqu’au prologue du samedi. Dieu qu’elle est longue cette attente où s’entremêlent l’excitation et la peur de l’inconnu : « c'était très long jusqu'au prologue...J'attendais avec impatience de commencer, un peu comme un gamin qui découvre ses cadeaux de Noël le soir du 24 décembre, tout en me disant : “dans quoi je me lance ?” ». Enfin arrive samedi. Offredo glisse sur la rampe de lancement et place ses premiers coups de pédale, tandis que ses roues planent sur l’asphalte humidifié par les ondées. Il vient de rentrer dans le Tour de France. Un Tour, et un prologue qu’il va cependant aborder avec prudence, terminant 155ème à 1'29" du vainqueur du jour, Geraint Thomas : « J'ai vécu ça avec des yeux de gamins. Il y avait énormément de monde et comme il pleuvait je n'ai pris aucun risque. J'avais tellement peur de chuter que j’ai fait vraiment le prologue tranquille. J'ai profité de chaque instant de cette première journée à fond ».

Les premières journées qui vont suivre, ces étapes plates qui pourtant paraissent si fades aux téléspectateurs, souvent contraints pour tromper l’ennui de s’en remettre aux traits d’esprits humoristiques de la Grosse Boucle ou de Dans la Musette, ne sont pourtant pas des parties de plaisir à qui doit les vivre de l’intérieur. Le peloton, c’est une jungle où l’on se doit de garder son territoire à tout moment, de s’imposer et de jouer des coudes. Même pour un flandrien pourtant habile au jeu du frottement en peloton, ce n’est guère chose aisée. Le Tour est un terrain propice aux joutes internes : « il faut se battre à tous moments, rester concentré sur la course. Il suffit qu'il y ait un léger vent de côté et tout le monde devient nerveux et passe à bloc. En plus il y a toujours du public, avec énormément de bruit, et du danger comme les enfants sur le bord de la route ». On ne gagne pas le Tour la première semaine, mais l’on peut tout y perdre. On ne s’ennuie pas dans le peloton, n’en déplaise à Peter Sagan : « pff.. Il s'ennuie sur ce genre d'étapes ? Bah il n’a qu'à prendre les échappées (rire) On n'est pas tous des Peter Sagan, on se promène pas tous dans le peloton sur un vélo, malheureusement ».

 

«Si tu poses cette question, c'est que tu n'as jamais été coureur sur le Tour de France»

 

Wanty Groupe Gobert est la plus petite équipe du peloton présente sur ce Tour. Elle va s’employer à “montrer le maillot”, devenant par la même, la principale animatrice de ces longues processions qui emmènent le peloton, du village départ jusqu’au sprint final, inéluctable. Chaque coureur de l’équipe ira poser sa petite pierre à cet édifice. Pour Yoann, les travaux de maçonnerie commencent tôt, dès la deuxième étape, qui va de Nuremberg à Liège. Sur ce décor qui sent bon – bien à tort, ce jour-ci – le parfum des ardennaises, les flandriens Offredo et Phinney, accompagnés par Boudat et Pichot, prennent la poudre d'escampette. Une offensive vouée à l’échec : « Non, aucune chance de jouer la gagne, aucune ». A quoi bon alors ? Pourquoi endurer tant d’efforts pour ne servir que de proies à un peloton aux pattes de velours certes, mais aux crocs aiguisés ? « Si tu poses cette question, c'est que tu n'as jamais été coureur sur le Tour de France. Parce que la motivation, c'est le public, c'est les gens. Il faut l'avoir fait pour s'en rendre compte et réaliser à quel point c’est magique. Et ne soyons pas bête ou naïf Il y a aussi une notion de marketing et de communication, je fais 4h devant avec le maillot de Wanty-Groupe Gobert. C’est important pour le sponsor ».

Quelques kilomètres avant le final le quatuor devient duo, que composent le coureur de WGG et celui de la Cannondale. Un duo qui envoie des phéromones de charisme à tout va. Un duo qui évoque le cyclisme d'antan, entre le francilien à la gouaille toute spontanée et le classieux américain, prodige déchu des suites d’une blessure. Un duo qui irait jusqu'à faire vibrer le coeur de n’importe quel seigneur Sith en mal d’affection. Ca sent les durs au mal, les teigneux. Mais quelques puissent être les qualificatifs et les comparaisons glorieuses, l’époque ne rémunère guère plus le romantisme sur le Tour. L’issue fatale qu’on se plaisait à vouloir croire, sans se leurrer, évitable, surviendra pourtant belle et bien à 1 kilomètre de l'arrivée avec le peloton qui absorbera sans un regard les rescapés de l’échappée du jour..

Les étapes s'enchaînent, du nord au sud. Demare glane un premier bouquet à Vittel, Aru passe dire bonjour aux belles filles, tandis que les leaders se livrent les premières escarmouches sur les pentes acérées des monts du Jura. Le peloton finit par s’envoler en direction du sud-ouest. Une journée, de repos pour recharger les batteries, et voilà les cyclistes qui s’élancent de Périgueux vers Bergerac. Un duo s’échappe avec Elie Gesbert et Yoann Offredo : « personne ne voulait y aller, il y avait du vent de face 50 km avant l'arrivée les étapes, c’était joué d’avance ». L’étape s'achève sur un nouveau sprint remporté par l’Allemand Marcel Kittel. Invité à la fin de l’étape dans Veloclub, Yoann Offredo marque les esprits de ceux pour qui le cyclisme n’existe qu’en juillet. Tout part d’un petit coup de gueule : comment sortir de l'apathie les baroudeurs du peloton ? « C’était une réflexion pour dénicher justement cette source de motivation que certains ne trouvent pas avec le public, pour ceux qui ne rêvent pas de faire briller les yeux des gamins ». Des pistes lancées çà et là qui sont d’ailleurs bien perçues dans le peloton sans pour autant faire bouger d’un iota les lignes : « On m’en a parlé pendant tout le Tour, mais de manière complètement positive de la part de beaucoup de coureurs du peloton. Mais après ils t'expliquent leurs points de vue, ils te disent qu’ils doivent protéger leur sprinter ou que ce dernier leur interdit de bouger, qu’il faut récupérer. Mais le message a été bien été perçu». Après tout il n’y a pas de parcours ennuyant, ce sont avant tout les coureurs qui décident si la course doit l’être ou pas. Un Tour de 3 semaines, c’est long, il faut bien choisir ses combats sous peine de succomber aux assauts de la fatigue. Sans doute est-ce cela que la grande majeure partie du peloton a en tête.

«Sans public ou sans téléspectateurs, le vélo ne serait rien»

 

Est-ce d’ailleurs cette même fatigue qui rôde autour des cyclistes, qui va provoquer le tournant dans le Tour de France de Yoann Offredo ? Ouvrant par la même un nouveau chapitre, fait de souffrances et de doutes. Lors de la 2ème journée de repos, au Puy en Velay, le coureur tombe malade : « j'ai choppé une grosse fièvre et des douleurs intestinales. Et encore douleurs, c'est pas le mot c'était très, très fort! D'ailleurs, même encore aujourd’hui, c'est pas le top ». Le transfuge de la FDJ envisage l’espace d’un instant ne pas pouvoir prendre la route le lendemain mais se ravise aussitôt : « Si ça avait été mon 17ème de France comme Sylvain (Chavanel) j'aurais peut-être réfléchi mais là, c'était mon premier Tour, j’y allais avec des étoiles plein les yeux et c'était hors de question que, pour un putain de virus à la con, je ne prenne pas le départ d'une étape ! ». Les cyclistes, sans conteste, ont du Sénèque dans le sang : “Bravez la douleur : elle passera, ou vous passerez”. Roulez et souffrez, pour ne jamais abandonner.

Le coureur traîne désormais sa mèche blonde et sa peine en queue de peloton. Elle est loin l’ivresse des débuts, le plaisir intense à chaque étape. Désormais, chaque jour est douleur, chaque jour est une peine, mais il s’accroche. Un Tour réussi ne peut être qu’un Tour achevé. Le natif de Savigny-sur-Orge avance, coups de pédale après coups de pédale, le ventre scié, plié en deux sur sa machine : « je me disais: “ on verra demain, on verra demain, on verra demain” ». C’est cette litanie qui pousse le cycliste jusqu’ au pied de la Mure, apothéose de sa souffrance, où la tentation de l’abandon se fera plus vive encore : en difficulté dans le col d’Ornon, largué au pied du col de la Croix de Fer, il va pourtant trouver les forces nécessaires pour terminer l’étape dans les délais avec le Gruppetto. Il aura suffi de quelques regards glissés vers le public pour trouver la force nécessaire : « Putain, je me plaignais intérieurement, parce que j'étais malade, j'avais mal... putain, c’était vraiment dur. Puis on est passé devant un groupe de personnes avec des enfants handicapés. Et là je me suis dit “putain, mais quel con tu es ! C'est dur... mais c'est pas dur du tout ! c’est rien putain ! Mets-toi à la place de ce gamin-là”...Et ce gamin, il avait le sourire. Il était en fauteuil et il avait le sourire ! Là, je me suis dit” putain tu n'as pas le droit de lâcher !” C'est grâce à ce genre de moment que j'ai réussi à trouver des ressources supplémentaires. Ce n'était plus une option d'abandonner ».

Et le public le pousse à avancer de plus belle, lui fournissant les 80% d'énergie qui lui manque. Les hordes de spectateurs, flots répandus en masse sur l’asphalte, qui ne s’écartent qu’au passage des coureurs, ce n’est pourtant pas une inconnue pour ce flandrien rompu aux monts des Flandres, ou aux secteurs pavés où une foule dense y harangue les coureurs. Mais cette proximité en montagne, c’est une nouveauté, une boisson délicieuse qu’il boit jusqu’à plus soif : « Le vélo c'est vraiment un sport qui va vers les gens. Aussi bien dans les Pyrénées que dans les Alpes c'était fantastique, incroyable, du début jusqu'à la fin. C'est pour ça qu'on fait du vélo ! J'ai toujours aimé ça. Sans public ou sans téléspectateurs, le vélo ne serait rien . ». D’autant qu’il a le temps de pouvoir profiter du spectacle : « Parce que pour ma part, je roule pas super vite (rire) ».  

 

« Tu te dis qu'en trois semaines, putain, il s'en est passé des choses »

 

Les derniers massifs montagneux franchis,  la suite n’en demeure pas moins laborieuse. Yoann Offredo traîne ce virus qui semble vouloir l’accompagner perfidement jusqu’à la capitale. Il craint l'abandon jusqu’au dernier jour, et aborde l’étape des Champs, concentré à son affaire, alors que le temps devrait plutôt être aux réjouissances et à la décontraction. Dans sa première partie il anime l’étape en prenant quelques longueurs d’avance…tenterait-il un coup de Trafalgar un peu fou ? Non, bien évidemment. Il y bénéficie d’un bon de sorti négocié dans les règles de l’art avec le maillot jaune, Christopher Froome : «  j'ai demandé l'autorisation en respectant les us et coutumes avant, car je suis bien le genre le coureur à attaquer comme ça. Imagine à la place de Froome, toi tu es en train de boire le champagne tranquille tandis qu’un enfoiré est en train d’attaquer». Un passe-droit pour un instant joyeux et convivial avec son fan-club : « Ça représente un peu ce qu’est le Tour de France, ce côté sympa. Moi, quand j'étais gamin, j'avais ces images de Ludo Dierckxsens partit voir sa famille sur une étape comme ça. Les gens qui étaient là, c’était des gens qui me soutiennent tout au long de l’année, c'était l’occasion de les en remercier ».

Quelques accolades, et autres selfies de bon aloi, et la course reprend son droit. Au revoir les rives de l'Essonne, bonjour Paris et la plus belle avenue du monde. Pour le francilien, ce n’est pas à proprement parlé une découverte : « ça m'arrive souvent d’y passer en vélo pendant l’année ». Mais ça n’est en aucun cas une partie de plaisir. Le sol est humide, quelques gouttes éparses suintent de la nappe nuageuse surplombant la capitale, le rythme est élevé. Surtout éviter la chute ! Cette concentration atténue quelque peu le côté magique de l’étape : « je l’avais finalement tellement attendu, cette étape que ça m’est paru moins magique que ce que l'on m'avait raconté. En fait c'était à l'image de tout le Tour de France, merveilleux mais finalement, pas beaucoup plus qu'ailleurs dans le Tour ». Lui qui traînait sa carcasse depuis quelques jours peut enfin souffler une fois la ligne d’arrivée dépassée : « Ça fait bizarre. Dès que la ligne est franchie on sait que c'est terminé et qu’on aura plus cette poussée d'adrénaline et cette pression. Puis en une fraction de seconde, il y a tellement de flashs qui te reviennent… tu te dis qu'en trois semaines, putain, il s'en est passé des choses. Des grandes, des petites, des formidables, des effrayantes... C'est incroyable, ce condensé d'émotions. C’est quelque chose à vivre et que je suis content d'avoir vécu parce que j'en suis ressorti grandi ».

 

« il y a quelques années j'aurais arrêté»

 

Dame Tour de France s'est offerte 3 semaines durant à un peloton insatiable. Elle est fatiguée de ses assauts incessants et doit s’en retourner sommeiller une année durant. Voilà qu’elle clôture ainsi la parenthèse enchantée de juillet. Il faut se remobiliser et retourner à un cyclisme tout aussi honorable, si ce n’est plus : « du jour au lendemain il n'y a plus de public et d'adrénaline c'est presque comme un retour de vacances au boulot...ll va falloir retourner s'entraîner et retourner sur de nouvelles courses. Mais il n'y a pas que le Tour de France, il y a plein de courses extraordinaires organisées par de vrais bénévoles en France, notamment ».

Yoann Offredo s’est désormais fait un nom auprès des suiveurs non assidus de la petite reine, malgré une dizaine d’année passées entre autres à secouer les pavés du nord. La machine médiatique, si friante de ce genre de profil l’a repéré et nuls doutes qu’elle ne l’oubliera pas. Yoann Offredo est devenu un “bon client”. De son côté Il a su repousser ses limites physiques et morales : « Si c'était à refaire, je le referai parce qu’avec le douleur la souffrance, il y a quelques années j'aurais arrêté. J'aurais pensé que ce n'était pas possible alors qu'en fait, Il y a tant de choses qui sont possibles ! ».

Mais surtout, lui, qui avait boudé - et réciproquement - le Tour, tant d’années auparavant est désormais sûr d’une chose : il y retournera : « J’ai hâte de connaître ça à nouveau parce que Le Tour de France, j’en suis ressorti amoureux. Mais vraiment ! »

 

Propos recueillis par Bertrand Guyot

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